Il est important de comprendre que le business model des équipes de Formule 1 avec des entreprises tierces ne repose plus depuis bien longtemps sur la simple association d’un logo en échange d’une somme d’argent, même si cette pratique demeure. Au sens strict, nombre de ces partenaires ne sont pas des sponsors : ils ne paient pas pour être en relation avec l’équipe mais entrent plutôt dans une notion de valeur par équivalence.
McLaren dispose donc en effet du plus grand nombre de partenariats connus parmi les équipes de F1. En réalité, une très grande partie de ceux-ci ne sont pas à proprement parler des sponsors. Ces entreprises partenaires ne financent tout simplement pas l’équipe, ne versent pas d’argent à celle-ci. Le budget de McLaren, ou de toute autre équipe, ne se trouve pas nécessairement augmenté directement en espèces sonnantes et trébuchantes du fait d’accueillir un partenaire. En revanche, un partenariat qui évite une dépense a pour directe conséquence de permettre à l’équipe de conserver cette même somme pour l’investir ailleurs.
Le fonctionnement d’un partenariat
Qu’est donc, alors, un partenaire ? On les trouve désormais dans des branches d’activités de plus en plus variées. Mais les exemples les plus simples sont ceux des marques vestimentaires, chaînes d’hôtels, ou encore fournisseurs de services informatiques et équipementiers hi-tech.
Prenons l’exemple de notre équipe se rendant sur 23 courses par saison avec une cinquantaine de personnes, ainsi que sur des tests, des évènements promotionnels et d’autres activités de représentation de l’exécutif. Une équipe sollicite aisément 10 000 nuits d’hôtellerie par an, représentant un budget oscillant entre 1 et 2 millions d’euros selon les structures.
Cette même équipe dispose d’un panel de plus de 1000 ordinateurs, équipés en diverses licences pour des softwares essentiels d’exploitation, de stockage, de sécurité, comme de plus pointus lié à l’activité. Voici encore près d’un million et demi à deux millions de dépenses évitées en trouvant des partenaires prêts à fournir cet équipement et ces services.
Bien entendu, les programmes de loyauté et commandes de tels volumes permettraient d’obtenir des tarifs préférentiels. Mais les teams optimisent bien plus loin. Il s’agit autant du rôle du département commercial que de celui des ressources humaines, qui travaillent sous la supervision du département financier.
Ne pas dépenser, plutôt qu’encaisser
L’importance des partenaires pour les équipes est d’autant plus cruciale maintenant que s’applique le fameux plafond budgétaire en F1. Les équipes ne peuvent dépasser un seuil annuel de dépenses, fixé à 138,6 millions de dollars en cette année 2023.
Auparavant, peu importe que vous disposiez de 100 millions sous forme de 90 millions de sponsoring en argent rentrant, et 10 millions de partenariats (d’argent « non-sortant ») : vos comptes n’étaient passés en revue. Désormais, si vous dépensez 90 millions mais en avez reçu l’équivalent de 10 sous forme d’équipements et services, vous travaillez techniquement avec 110 millions tout en respectant la limite réglementaire.
‘Budget cap’ et nouvelles stratégies
La différence est majeure pour les équipes. D’un point de vue comptable, les teams ont tout à gagner à éviter de faire entrer dans leur comptabilité des points de dépense comme ceux évoqués ci-dessus, ou encore l’équipement de voyage, le teamwear, une partie de la nourriture, les locations de véhicules, etc. Toute dépense qui se serait habituellement trouvée dans la colonne « frais » est désormais bonne à être négociée sous forme de partenariat afin d’obtenir une valeur similaire permettant au budget plafonné de ne pas être entamé de ladite somme de manière officielle.
Conséquence ? Une équipe affichant une dépense annuelle au niveau du budget plafonné, à 138 millions, pourrait tout à fait dépenser plusieurs dizaines de millions de plus en optimisant sa manière de fonctionner, tout en restant dans les clous « sportivement », dans le cadre légal.
Les équipes vont désormais jusqu’à trouver des partenaires bien au-delà des zones de dépenses évidentes que sont l’équipement et la logistique, par exemple en cherchant des associations au niveau énergétique pour optimiser les coûts des usines, ou pour financer de menus avantages offerts au staff (abonnement de salle de sport, téléphonie, etc) qui font tout de même une différence de quelques centaines de milliers d’euros mis bout à bout en fin d’année.
Partenaire vs sponsor
Pour le partenaire, il est question d’obtenir en échange visibilité, mise en avant pratique de ses produits, voire terrain d’expérimentation grandeur nature pour des développement et services proposés ensuite à des structures encore plus importantes que les équipes F1…comme par exemple les constructeurs automobiles plus largement, ou les grandes corporations internationales. Avoir une équipe F1 comme client peut servir de base à d’autres partenariats pour ces sociétés.
La notion de sponsoring est de son côté de plus en plus floue, car plus aucun deal impliquant une réelle transaction d’argent sortant des poches d’un commanditaire en direction d’une l’équipe, ne comprend qu’une somme d’argent.
Les marques disposent d’avantages d’utilisation d’image de l’équipe pour du matériel promotionnel sur une durée donnée, peuvent envoyer des VIP de leur propre société ou des invités en loge sur les courses (un pass VIP annuel peut atteindre près de 250 000€), et bien entendu disposer d’un espace visuel proportionnel à la valeur du service apporté à l’équipe sur les autos ou l’équipement.
Liberty Media en concurrence avec les équipes
Avant le plafond budgétaire, les équipes ont de toute façon été secouées dans le domaine et ont dû fortement revoir leur manière de se proposer commercialement aux multinationales. Un concurrent féroce est en effet apparu : la FOM de Liberty Media, qui elle-même, signe de gros contrats hybrides avec des partenaires équipementiers (Pirelli, Lenovo, Tata communications) ou encore logistiques (DHL, Qatar Airways) et sponsoring (Heineken, Rolex, Aramco, Crypto.com, etc).
Certains exemples de ce type sont simples à trouver du côté des équipes : en plus d’équiper Mercedes, BOSE fournissait par exemple un budget additionnel à l’équipe pour être en vue. Chez Ferrari, la marque de lunettes de soleil Ray-Ban ou le service d’acheminement UPS sont bien entendu des fournisseurs pour Ferrari, mais dépenses plusieurs millions pour disposer de la visibilité sollicitée. Les sponsors-titres ou ceux ayant le luxe de pouvoir déterminer d’une zone de couleur sur une auto (comme INEOS chez Mercedes), voire en déterminer la livrée (comme BWT chez Alpine), sont bien entendu des sponsors majeurs, dont l’apport à l’équipe contient très certainement des services à un niveau accessoire, mais où le deal consiste en une immense majorité de cashflow.
Dans les annonces récentes, il est aisé d’imaginer que le deal établi entre Williams et la plateforme d’échange de cryptomonnaies Kraken est d’ordre sponsoring, et que la firme de trading paie rubis sur l’ongle pour être affichée sur les ailerons arrière des machines de Grove.
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